La réfutabilité (ou : falsifiabilité).

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Pour Popper, le problème fondamental en philosophie des sciences est celui de la démarcation : c'est la question de la distinction entre ce qui relève de la science et de la métaphysique.
Le célèbre critère de démarcation proposé par Karl Popper en 1934, provient de son invalidation de la doctrine de l’induction, qui se caractérise par une « solution » au problème de l’induction, laquelle consiste à démontrer, qu’il n’y a tout simplement pas d’induction.
Cette doctrine était défendue, notamment, par les philosophes positivistes du Cercle de Vienne, tels Carnap, Schlick, Wittgenstein, Cercle au sein duquel Popper était admis comme étant « l’opposition officielle ». Le projet du Cercle de Vienne était d’éliminer la métaphysique, ou, plus exactement d’extirper de la Science, tous les énoncés métaphysiques, considérés comme « vides de sens ». Les positivistes considéraient que seuls les énoncés vérifiables par les « données des sens », avaient une signification utile pour la science et l’édification des lois universelles, à partir d’eux. La vérifiabilité des lois universelles, par une procédure inductive, à partir des énoncés singuliers, était le critère de démarcation positiviste qui devait permettre de trancher entre science et métaphysique, tout en éliminant complètement la métaphysique de toute entreprise scientifique.
Mais pour Karl Popper, l’induction, (dont les problèmes insurmontables auraient, selon lui, été bien mis en évidence par David Hume ; Popper considère que l’induction est « le problème de Hume ») comme méthode scientifique, n’est qu’un mythe. Il pense qu’aucune loi scientifique n’a jamais pu être édifiée par une procédure inductive, et qu’une telle croyance repose toute entière sur une version erronée de la théorie de la connaissance s’apparentant à celle du sens commun. Il soutient, de façon répétée dans toute son œuvre, qu’il n’y a pas d’induction à proprement parler, puisque toute observation est précédée par une théorie générale et sélective, et parce que toute justification d’un principe d’induction sombre irrémédiablement dans la régression à l’infini, parce que, explique Popper, « pour le justifier, nous devrions pratiquer des inférences inductives et pour justifier ces dernières nous devrions assumer un principe inductif d’un ordre supérieur et ainsi de suite. La tentative visant à fonder le principe d’induction sur l’expertise échoue donc puisque celle-ci doit conduire à une régression à l’infini ». [1].
Pour Popper, il ne sert donc à rien de collectionner des milliers ou des millions d’observations de cygnes blancs pour affirmer la vérification de la théorie universelle « tous les cygnes sont blancs ». Ce genre de théorie n’étant pas limitée dans le temps, il est toujours logiquement possible qu’elle soit réfutée par l’observation d’un cygne non blanc.
Selon  « La logique de la découverte scientifique » de Popper, une loi scientifique n'est donc pas une loi vérifiée - ni même vérifiable par l'expérience - mais une loi réfutable (ou falsifiable) dont la réfutation reste toujours logiquement possible. Il affirme que toutes les lois scientifiques universelles ont obligatoirement la forme logique d’énoncés universels au sens strict (et non d’énoncés universels au sens numérique), lesquels ne sont pas vérifiables mais par contre réfutables, et non d’énoncés singuliers portant sur la réalité, lesquels peuvent être vérifiés. Popper s'est opposé aux positions défendues par les membres du Cercle de Vienne, lesquels pensaient, au contraire, que les énoncés universels au sens strict, tels que  « tous les cygnes sont blancs », parce qu'ils ne peuvent être vérifiés par l'expérience (aucune collection de faits confirmant cet énoncé ne pouvant jamais être totalement vérifiée), sont vides de sens ou sont de pseudo-énoncés, donc des énoncés purement métaphysiques inutiles pour la science. Pour les positivistes du Cercle de Vienne, dont le projet était d'éliminer la métaphysique, (laquelle fut finalement défendue par Popper), il fallait donc leur préférer des énoncés singuliers portant sur la réalité, qui eux, étaient vérifiables.
Les propositions qui annoncent l'existence de faits, sans préciser de coordonnées spatio-temporelles, sont appelées, par Popper, des énoncés existentiels au sens strict (exemple : il y a ou il existe des créatures vivant sur Mars). Les énoncés à propos de tous, mais qui ne précisent pas de conditions initiales d'observation, sont nommés énoncés universels au sens strict [2] (Exemple : « tous les requins tigres ont des dents en forme de crête de coq »). Pour Popper,  les énoncés existentiels au sens strict, ne peuvent être falsifiés, mais sont toujours potentiellement vérifiables. (Pour cette raison, Popper les considère comme non-empiriques ou métaphysiques). En effet, Popper explique que nous de pouvons pas examiner avec minutie le monde entier afin d'établir que quelque chose n'existe pas, n'a jamais existé et n'existera jamais [3]. Les énoncés universels au sens strict, parce qu'ils ne se réfèrent pas à une région spatio-temporelle limitée, ne sont pas vérifiables, car, écrit Popper,  nous ne pouvons pas non plus examiner le monde entier pour nous assurer que rien n'existe qui soit exclu par la loi [4]. Par contre, les énoncés universels au sens strict, s'ils ne sont donc pas logiquement vérifiables, sont par contre, logiquement falsifiables par la confirmation expérimentale de falsificateurs virtuels acceptés par la communauté scientifique, comme pouvant faire l'objet de tests intersubjectifs pour tenter de corroborer une théorie ainsi mise à l'épreuve.
Popper en vient donc à émettre le principe d'asymétrie entre vérifiabilité et falsifiabilité, avec comme conséquence,  la falsifiabilité unilatérale des énoncés de la science empirique [5].
C'est donc la démarche par « conjectures et de réfutations », la seule valide, selon Popper, pour l’accroissement des connaissances scientifiques.
Le critère de falsifiabilité :

Il peut être ainsi formulé : si on entend par énoncé un simple un rapport d'observation, nous pouvons dire qu'une théorie est scientifique si elle divise sa base empirique (la classe de tous les énoncés de base possibles) en deux sous-classes, dont une est composée de falsificateurs virtuels. Il faut, pour Popper, obligatoirement que la sous-classe des falsificateurs virtuels soit non-vide [6] :

- La sous-classe des énoncés qui peuvent mettre en échec la théorie, appelés falsificateurs potentiels ou  énoncés interdits  par la théorie [7] (si ces énoncés sont confirmés à la suite d'un test élaboré grâce à une hypothèse falsifiante, la théorie est dite réfutée ou falsifiée ; si ces mêmes énoncés sont infirmés la théorie est alors dite corroborée);
- La sous-classe des énoncés avec lesquels la théorie universelle s'accorde, appelés par Popper, les  énoncés permis  par la théorie (les nouvelles observations réalisées et qui s'accordent directement avec ce que dit déjà la théorie, ne sont jamais, pour Popper, des corroborations, mais seulement des confirmations de la théorie, sachant que pour Popper, il y a corroboration, s'il y a eu tentative de mise en échec de la théorie par le biais d'un test tentant de confirmer expérimentalement un falsificateur virtuel de la théorie. L'observation d'autres cygnes blancs, ne fera qu'apporter de nouvelles confirmations positives de la théorie universelle tous les cygnes sont blancs, mais sans en démontrer sa valeur descriptive, explicative et prédictive, et donc le  contenu empirique de la théorie, sachant que Popper définit le « contenu empirique » d'une théorie par la classe de ses falsificateurs virtuels [8]).

Donc, pour Popper, une théorie est dite « scientifique », si et seulement si elle admet une sous-classe non-vide de falsificateurs virtuels, parmi la classe de tous les énoncés de base possibles.

Différence entre falsifiabilité et falsification :

Pour Popper, il est indispensable de distinguer falsifiabilité et falsification. C’est sur la base d’une confusion entre les deux concepts que beaucoup de ses détracteurs (comme Imre Lakatos et Thomas Kuhn), échafauderont la critique selon laquelle son critère de démarcation serait inapplicable dans le travail réel des scientifiques, arguant du fait qu’il serait impossible de falsifier une théorie définitivement, donc de manière décisive.

Popper, dans son livre « Le réalisme et la science », s’indigne de cette tenace mécompréhension de sa thèse, et soutient qu’il avait pourtant bien précisé qu’aucune théorie scientifique n’est falsifiable de manière décisive [9], et que cela ne posait aucun problème pour la recherche scientifique, bien au contraire [10].
La  falsifiabilité  ne concerne, pour Popper, que la nécessité pour une théorie, si elle veut être empirique, d’être dans un certain rapport logique avec les énoncés de base possibles [11]
La  falsification, concerne les tests reproductibles qu’il a été possible d’effectuer. Pour Popper, « l’on doit considérer une théorie comme falsifiée, que si  nous découvrons un effet reproductible qui la réfute » (Popper). La falsification fait donc directement référence à une  hypothèse falsifiante qu’il a été possible de soumettre à des tests pour corroborer ou réfuter une théorie [12].

 

Références bibliographiques :

 

[1] Karl Popper. « La logique de la découverte scientifique ». Edition Payot, Paris 1973. Chapitre 1 : « Examen de certains problèmes fondamentaux ».

[2] Karl Popper. « La logique de la découverte scientifique ». Edition Payot, Paris, 1973. Chapitre 3 : « Les théories ». Section 15 : « Enoncés universels au sens strict et énoncés existentiels », pages 66 à 69.

[3] Karl Popper. Op. cit. Pages 66 à 69.

[4] Karl Popper. Op. cit. Pages 66 à 69.

[5] Karl Popper. Op. cit. Pages 66 à 69.

[6] Karl Popper. Op. cit. Page 84.

[7] Karl Popper. Op. cit. Pages 66 à 69.

[8] Karl Popper. Op. Cit. Pages 120 à 121.

[9] Karl Popper. « Le réalisme et la science ». Edition Hermann, Paris, 1990. Introduction, pages 3 à 6.

[10] Karl Popper. Op. Cit. Introduction, pages 3 à 6, puis pages 13 à 17.

[11] Karl Popper. « La logique de la découverte scientifique ». Edition Payot, Paris, 1973. Chapitre 4 : « La falsifiabilité ». Section 22 : « Falsifiabilité et falsification ». Page 85.

[12] Karl Popper. Op. Cit. Page 85.

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